Révolution tunisienne 3e partie


1ère partie (ici) –  2e partie (ici) – 3e (ici) – 4e (ici) – 5e (ici) –  6e (ici) – 7e (ici) – 8e (ici) – 9e (ici) – 10e (ici) – 11e (ici) – 12e (ici) – 13e (ici) – 14e (ici) – 15e (ici)

3 La face cachée de la Tunisie

La Tunisie offrait une façade des plus séduisantes qui ne dépassait pas quelques cités résidentielles et routes principales. Il suffit souvent, comme à Sfax par exemple, véritable capitale économique complètement délaissée depuis des décennies, de prendre une route perpendiculaire et d’avancer  quelques mètres pour se retrouver dans des zones habitées où l’État n’a jamais investi.

En réalité, le seul miracle était celui de la passivité des Tunisiens devant les excès indécents des proches de Ben Ali, mais la vérité est que personne ne pouvait les condamner à moins de se condamner lui-même à fuir le pays ou a subir la violence directe ou hypocrite du régime. Souvent conseillés par des cabinets internationaux d’avocats, ils ont mis la main sur des secteurs entiers de l’économie, devenus des chasses gardées. D’autres proches, préférant des gains encore plus faciles, ont phagocyté les administrations, dont les douanes, pour s’interposer entre citoyens et responsables et monnayer divers services, comme l’importation sauvage, brisant ainsi un tissu économique fragile. L’État au service de quelques familles, voilà la réalité vécue par les Tunisiens. Les passe-droits et la corruption étaient devenus une seconde nature et la situation n’inspirait plus personne à investir. Cela contribuait à développer la pauvreté de façon exponentielle, jetant dans la rue des centaines de milliers de défavorisés, dont un nombre très important de diplômés. Les Tunisiens étaient frustrés par une communication politique présentant le pays comme une très grande réussite et par une société devenue inculte et vaniteuse.

Les jeunes, qui constituent une proportion très importante de la population, sont les premières victimes de cet état de fait. Ils passent leurs journées au café et sont économiquement, politiquement et culturellement exclus. Leur unique « appartenance », leur seul centre d’intérêt est souvent leur équipe de football.

L’éveil de la jeunesse*

Mais à partir de 2008, les choses vont changer. À la suite des événements du bassin minier(18) de Gafsa où les habitants avaient violemment protesté contre l’embauche, par le Groupe Chimique, de fils de caciques locaux et de syndicalistes acquis au pouvoir, il y a eu la formation, à Tunis, d’un mouvement de «diplômés chômeurs», rapidement réprimé. Au mois de février 2010 à Skhira, des chômeurs soutenus par la population locale avaient eux aussi violemment protesté. Une dizaine d’entre eux avaient été arrêtés et condamnés, d’autres envoyés au service militaire.

Depuis le milieu de la première décennie du 21e siècle, la formule « ACAB » a commencé à être griffonnée sur tous les murs, panneaux de signalisation, etc.

Ces mouvements étaient occultés par l’essentiel du paysage médiatique où trônaient les télévisions orientales qui, à part des discours religieux, de frustrants clips moyen-orientaux à l’eau de rose et l’inévitable football et ses débats stériles, n’offraient que peu de choses aux jeunes. Sur les chaînes locales, le choix était aussi faible et frustrant : des séries télévisées mettant en avant l’argent, la mafia et la réussite par l’arnaque et enfin, comme partout dans le monde, les fameux « dieux du stade ». Ces stades qui, depuis quelques années, étaient devenus de véritables lieux de défoulement où supporters et policiers vivaient des face à face particulièrement violents qui ont connu leur apogée le 8 avril 2010 au stade d’El Menzah de Tunis avec des batailles rangées opposant les supporters aux policiers.

Outre les stades où la haine du flic tenait lieu de «position politique» et mise à part l’audace de quelques irréductibles opposants et autres démocrates ou islamistes, l’autocensure des Tunisiens faisait le bonheur du régime. Mais avec le développement des réseaux sociaux (19), les internautes ont commencé à stigmatiser la police puis le régime. En mai 2010, la provocation est arrivée à un point tel que les blogueurs Slim Amamou et Yassine Ayari ont demandé officiellement une autorisation au ministère de l’Intérieur pour organiser une manifestation anticensure «Nhar 3ala 3ammar»(20). Les deux blogueurs sont arrêtés, ce qui contribue à médiatiser l’événement. Les autorités les relâchent alors et les forcent à annuler la marche. L’action est transformée en une parade dans les cafés de l’avenue Bourguiba avec des internautes en T-shirt blanc harcelés par la police.

Ces actions, d’apparence anodine, contribueront à l’organisation de groupes, de réseaux et à l’émergence de leaders d’opinion parmi des jeunes complètement vierges politiquement.

Dans l’intérieur du pays, la situation de la jeunesse est pire car à la misère matérielle s’ajoute l’impossibilité de canaliser le défoulement : pauvreté et ennui y forment un mélange explosif sans les soupapes que sont internet ou le stade.

Un été 2010 bouillonnant

En juillet 2010, Mark Toner, porte-parole du département d’Etat américain, déclare en conférence de presse que les Etats-Unis sont particulièrement « inquiets » suite à la condamnation d’un journaliste tunisien, Fahem Boukadous, à quatre ans de prison pour « diffusion d’informations de nature à troubler l’ordre public ». Ce dernier n’a fait qu’assurer la couverture médiatique des manifestations du bassin minier. A la suite des déclarations de Mark Toner, le ministère des Affaires Étrangères, a exprimé via l’agence de presse officielle, « sa stupéfaction face à de tels propos qui dénotent d’un manque de discernement dans la vérification des informations et d’une précipitation injustifiée dans la formulation de jugements concernant les pays tiers ».

En vacances dans son palais à Hammamet, Ben Ali n’imagine pas qu’il passe son dernier été en Tunisie. Au début du mois d’août 2010, des affrontements ont lieu à la frontière entre les habitants de Ben Guerdane et les forces de l’ordre. La raison officielle de ces heurts est que les autorités libyennes ont décidé de fermer ce point de passage, économiquement très important. Les habitants de la région, qui vivent essentiellement de contrebande, ont déclaré que leur colère avait pour cause le fait que seuls les véhicules de contrebande appartenant à la mafia proche de Ben Ali pouvaient passer… Ces déclarations ne sont pas avérées, mais la rumeur dévoile l’état d’esprit de la population.


NOTES

 * – Ironie de l’histoire, le soulèvement qui a eu raison du régime de Ben Ali a eu lieu en 2010, proclamée par Ben Ali « Année de la Jeunesse ».
 18 – Violemment réprimés, ces événements ont, selon des sources fiables, provoqué une dizaine de morts. Aucune commission d’enquête indépendante n’a encore travaillé sur ces cas.
 19 – Facebook et Twitter commencent à devenir les réseaux sociaux par excellence. C’est probablement la raison pour laquelle les graves événements du bassin minier, en 2008, n’ont pas été relayés par les internautes qui ne disposaient pas à l’époque de ces réseaux sociaux.
 20 – « Ammar » est pour la Tunisie ce que fut « Anastase » pour l’Occident : c’est le surnom de la censure. « Nhar 3ala Ammar » signifie « Sale journée pour Ammar ».
 

Source (cliquez)

1ère partie (ici) –  2e partie (ici) – 3e (ici) – 4e (ici) – 5e (ici) –  6e (ici) – 7e (ici) – 8e (ici) – 9e (ici) – 10e (ici) – 11e (ici) – 12e (ici) – 13e (ici) – 14e (ici) – 15e (ici)

Commentaires