Si Youssef Chahed était soutenu par une formation ou une coalition politique, la Tunisie se sentirait en sécurité et sur la bonne voie pour sortir de ses différentes crises. Or, malgré le formidable soutien populaire dont jouit le chef du gouvernement, l’état du pays reste fragile à cause d’une majorité politique qui, sur un sujet aussi fondamental que celui de la lutte contre la corruption, ne trouve rien de mieux que de laisser traîner des peaux de banane, en attendant la chute.
Au lieu de rassembler toutes les bonnes volontés autour d’un chef de gouvernement qui, enfin, fait cette unanimité populaire tant attendue depuis 2011, Nidaa Tounes fait tout pour lutter contre le raz-de-marée provoqué par Youssef Chahed.
À priori, tout le monde trouverait ridicule cet acharnement de Nidaa Tounes à éviter toute évolution positive pour lui même et pour le pays, mais il suffit d’un minimum d’observation pour comprendre que Nidaa Tounes, comme d’autres formations politiques, n’est pas mû par l’intérêt national, mais par des intérêts personnels ou étrangers.

La campagne anti corruption, lancée en fanfare le 23 mai 2017, a provoqué un énorme mouvement populaire de sympathie pour le jeune chef du gouvernement, surtout que ce dernier se bat contre les barons du régime, largement représentés dans les partis dominants, comme le prouvait la proximité de Chafik Jarraya avec Nidaa Tounes et Ennahdha.

La Justice militaire, et après ?

Obligé d’avoir recours à la justice militaire, tant la justice civile, gangrénée par la politique et la corruption, n’est pas fiable, Youssef Chahed voit sa campagne anti corruption structurellement limitée au « complot contre la sureté de l’État ». Cela voudrait-il dire que sa campagne contre la corruption ne pourra pas aller plus loin ? Juridiquement, oui, mais politiquement, tout est possible car le soutien populaire dont jouit cette campagne peut permettre au chef du gouvernement d’aller beaucoup plus loin dans ce dossier et même de faire bouger les juges civils sur lesquels toute la Tunisie a aujourd’hui les yeux rivés.

La communication ne suit pas

Mais là où le bât blesse, c’est dans le volet politique. En effet, alors qu’il est à l’origine de cette campagne, Youssef Chahed a laissé d’autres s’accaparer du volet politique, au point que beaucoup d’observateurs sont devenus dubitatifs devant la possibilité de la poursuite de la campagne.
Pour répondre à ces valse-hésitations, Chahed a communiqué sur sa campagne anti-corruption par voie de presse, ce qui a étonné tout le monde, tellement ce moyen de communication élitiste est aujourd’hui limité et caduc face à la force de frappe des médias modernes.
Les deux journaux (Assabah et La Presse) qui ont publié l’interview du chef du gouvernement se sont arrachés ce jour-là, au point qu’à la mi-journée, ils avaient complètement disparus des kiosques. Ce qui prouve, encore une fois, la soif d’information des Tunisiens devant le travail du chef du gouvernement.
Cette tiède et timide campagne de communication du chef du gouvernement nous interpelle. Qu’est-ce qui l’empêche de communiquer ? « Ne pas communiquer sur quelque chose d’aussi primordial pour le pays, c’est carrément mettre un terme à cette campagne », lance Sahbi Ben Fraj, un député particulièrement actif dans la lutte contre la corruption.

Certains observateurs pensent que Youssef Chahed est déjà sur la sellette. Béji Caïd Essebsi, obsédé par cette sorte de sérénité de façade qui ne concerne que les personnalités politiques du sérail, complètement détachées de la réalité du pays, aurait déjà décidé de limoger Youssef Chahed. « Le président n’attend que l’occasion propice » lance un proche de ce sérail.

D’autres observateurs, politiquement plus réalistes, pensent à « qui va tirer le premier » et beaucoup souhaitent voir Youssef Chahed monter politiquement au créneau, comme l’autorise la Constitution de 2014, dont l’esprit est systématiquement trahi depuis 2015.

En fait, sortir la Tunisie de la dynamique de destruction dans laquelle elle est engagée depuis des années, dépend désormais de la volonté d’un seul homme.
Quant aux partis dominants, ceux de leurs membres qui ont encore les mains propres et qui ont toujours conscience d’un nécessaire sursaut de l’État auraient tout intérêt à cesser de valider les bassesses politiques de leur dirigeants et à s’associer à un renouveau autour de Youssef Chahed, renouveau basé sur une véritable et efficace campagne anti corruption, prélude à un véritable redressement du pays.
Cette éventualité rend les politiciens corrompus nerveux au point d’éjecter toutes les personnes valables et d’accepter toutes les alliances et compromissions possibles, dans l’objectif de démettre le jeune chef du gouvernement. Mais Youssef Chahed a avec lui le peuple et la Constitution. C’est bien assez pour avoir de l’audace, encore de l’audace, et toujours de l’audace, surtout qu’en face, il n’y a que de la bassesse, encore de la bassesse et toujours de la bassesse.

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