« Faute de ne pouvoir être un vrai père de la nation comme seuls quelques chefs d’État ont pu l’être, essayez de ne pas être le père d’un seul fils aux dépends de toute une nation qui en a ras-le-bol des fils, épouses, cousins et voisins. »

Après la lettre ouverte au chef du gouvernement Youssef Chahed, voici la lettre ouverte d’une enseignante à Kasserine destinée au président Béji Caïd Essebsi. La situation désastreuse du pays pousse les citoyens à s’adresser aux gouvernants pour leur exprimer leur ras le bol de leur incompétence doublée d’un aveuglement. Alors que ceux-ci se chamaillent pour leur fauteuils ou pour imposer leurs proches et affidés, au mépris total des compétences, le pays part à la dérive…

Monsieur le Président.

Je suis une citoyenne Tunisienne on ne peut plus ordinaire. Enseignante à Kasserine, j’appartiens à la Tunisie profonde et je côtoie ses petites gens tous les jours que le bon Dieu fait .

Monsieur le Président, je ne vais pas m’étaler sur les problèmes de ma région que vous ne connaissez que trop bien.

Je ne vais même pas vous dire que les gens ont faim et soif ici, car le problème est maintenant métastatique. Je ne vais pas non plus vous dire que tout stagne, que tout est sclérosé et qu’on ne peux plus guérir les maux du pays à coup d’anathèmes gluants et creux. Et je ne vais pas vous dire que la classe moyenne fait aujourd’hui partie d’un souvenir doux et lointain, et que la misère noire est le pain quotidien de tous. Vous savez tout ça probablement mieux que quiconque. Que vous soyez incapable de résoudre ces problèmes post-révolution, ou que vous laissiez pourrir ne constituent pas ma préoccupation première, car le temps, Monsieur le Président, ce joueur avide qui gagne toujours sans tricher, finira par le dire à ma place.

Monsieur le Président, je veux vous dire, moi “Madame tout le monde” que j’ai peur. Oui, j’ai peur. Une peur sans nom et sans fond mais avec fondements. J’ai peur de l’avenir qui semble ne pas rentrer dans vos soucis immédiats. J’ai peur que mon pays ne sombre dans l’anarchie et le chaos. J’ai peur que la Tunisie devienne imprenable. Nous y marchons, vous le premier les yeux bandés.

Monsieur le Président, j’ose vous rappeler que nous vous avons élu parce que justement nous avions peur. Que nous sommes sortis femmes et hommes tous milieux confondus pour vous propulser à la tété du pays car vous étiez la seule alternative possible et viable. Car nous avons vu en vous un dernier rempart avant la perte définitive du pays.

Nous étions aux anges comme des enfants un jour de fête. Vous nous avez trahi de la manière la plus inattendue, la plus douloureuse. Vous savez quand vous placez votre confiance, l’avenir de vos enfants et votre foi en quelqu’un et qu’il vous met précisément dans la situation que vous avez essayé de fuir en vous mettant sous son aile. Les femmes et les hommes qui vous ont élu ne considéraient pas ça comme un vote utile, détrompez-vous! C’était un vote vital qui a vite tourné en vote fatale!

Non content, Monsieur le Président, de la gifle que vous nous avez donnée, vous vous êtes bouché les oreilles et fermé les yeux sur les attentes des Tunisiens.

Monsieur le Président, j’avais un élevé de 16 ans qui n’avait pas beaucoup de rêves pour lui même mais il caressait un petit rêve pour sa petite ville de Thala. Il voulait la voir un peu plus belle et un peu plus heureuse. Il est sorti, du haut de ses seize ans manifester contre l’ancien Président et sa famille. SA FAMILLE , m’entendez -vous. Mohamed a été descendu par un sniper. Il ne verra plus Thala, et c’est peut être mieux.

Je ne vais pas vous apprendre moi petite personne sans envergure, l’essence de votre mission. Vous êtes garant de la constitution, chef des armées et patron des affaires étrangères. Mais votre tâche essentielle est de procurer la sécurité et de redonner confiance à ce pauvre peuple malmené par des politiques maladivement ambitieux, de sauvegarder leur unité et leur indépendance. Faute de ne pouvoir être un vrai père de la nation comme seuls quelques chefs d’État ont pu l’être, essayez de ne pas être le père d’un seul fils aux dépends de toute une nation qui en a ras-le-bol des fils, épouses, cousins et voisins. Serait-il le sauveur de la Tunisie, serait-il le Messie tant attendu, serait-il le sauveur unique, nous n’en voulons pas et vous savez en votre âme et conscience pourquoi.

Une dernière requête Monsieur le Président: offrez-vous une ultime et dernière belle sortie de la vie politique et une plus belle entrée dans l’Histoire. Ayez pour vous même un cœur de juge. Les Présidents, les vrais mettent l’instinct paternel en veilleuse le temps d’un mandat. L’Histoire retiendra que dans un dernier sursaut de lucidité vous avez choisi la Tunisie.

Par Olfa Rhymy Abdelwahed

 

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