Premier ministre iranien, Mossadegh était surnommé « le vieux lion rugissant ». Il est le premier homme à avoir lancé la nationalisation du pétrole, déclenchant ainsi la première bataille économique des pays pauvres. Deux ans plus tard, en 1953, un coup d’État organisé par la CIA, en collaboration avec Londres, a mis fin à son gouvernement. Le chef de l’opération était un certain Schwarzkopf, le père de Norman qui, en 1991, fut le commandant en chef de l’armée de la coalition internationale contre l’Irak.

 

« Né en 1881, Mohamed Mossadegh appartenait, par sa mère, à la dynastie des Qadjar. Grand propriétaire foncier – ce qui ne l’empêcha pas d’inspirer une réforme foncière-. Immensément riche, il tranchait sur les autres politiciens d’un pays où la corruption faisait partie des mœurs.

En 1943 il devient le premier député de Téhéran. A l’époque, le nord de l’Iran est occupé par l’Armée Rouge, et la Grande Bretagne a la haute main sur le reste du pays. Staline, qui a des visées sur le pétrole de l’Azerbaïdjan iranien, serait prêt à troquer le retrait de ses soldats contre une concession. Mais Mossadegh provoque sa fureur en faisant voter en 1944, une loi interdisant l’octroi de toute concession pétrolière sans approbation du Parlement. Il ne tardera pas à devenir le symbole de la résistance populaire à toute mainmise étrangère sur l’Iran.

Mais l’Anglo-Iranian Oil, qui possède depuis le début du siècle une concession abusive, s’appuie, avec la bénédiction du jeune Winston Churchill, sur l’amirauté britannique pour garder sa position alors que l’Iran, 4e producteur mondial, ne reçoit que quelques royalties insignifiantes.

Alors que le pays supporte de plus en plus mal de vivre dans la misère, le Front National de Mossadegh fait voter le 20 mars 1951, à l’unanimité du Majlis, la loi de nationalisation de l’industrie pétrolière.

Une crise gouvernementale s’ensuit et, malgré les avertissements lancés au Chah par les Britanniques et les Américains, celui-ci est obligé de céder à la foule qui veut porter Mossadegh au gouvernement… Le lendemain, le Chah promulgue la loi de nationalisation.

La véritable épreuve de force commence entre Mossadegh et Londres, qui le traite de « nouvel Hitler », organise un blocus maritime et arraisonne les « bateaux pirates ».

Mossadegh obtient alors du Chah les pleins pouvoirs et, refusant de négocier avec Londres, rompt les relations diplomatiques.

A Londres, Churchill et les Conservateurs sont au pouvoir, et à Washington, Foster Dulles un « dur », sera bientôt secrétaire d’État. Les compagnies pétrolières internationales se liguent pour étrangler l’Iran : elles augmentent la production de l’Arabie Saoudite, de l’Irak et du Koweït et découragent les acheteurs de pétrole iranien.

Au début de 1953, lorsque Eisenhower s’installe à la Maison Blanche, le sort de Mossadegh est scellé. Sa chute n’est plus qu’une question de mois. Le « vieux lion rugissant » flaire le danger. Il se fait plébisciter par le peuple et obtient le ministère de la Défense. Mais les communistes et les religieux le lâchent au moment décisif.

Financés par la CIA, les anti-mossadegh déposent le Premier ministre

Le 13 août 1953, le Chah destitue Mossadegh qui échappe aux forces armées venues l’arrêter. Il refuse de s’incliner, la révolution gronde. Le 15, le Chah s’enfuit à Bagdad puis à Rome. Mais à partir du 19, truands et chômeurs copieusement arrosés par le général Schwarzkopf – la CIA dépense des millions de dollars – se livrent au pillage, vident les bas quartiers et rejoignent les troupes armées qui s’emparent de la radio. La maison de Mossadegh est éventrée par un tank Cherman. Le 22, la foule, manipulée par la CIA, accueille triomphalement le Chah qui regagne la capitale. Le 24, Mossadegh est arrêté, puis jugé.

Sa dernière plaidoirie sera son « testament politique » : « le seul crime que j’ai commis, déclare-t-il, est la nationalisation du pétrole. J’ai lutté contre le plus grand empire du monde… j’ai lutté également contre la plus grande entreprise d’espionnage du monde. Mais ces gens que j’ai combattus, veulent montrer au peuple d’Orient ce qu’ils réservent à un homme qui ose les braver ».
Mohammed Mossadegh lors de son procès, le 11 novembre 1953.

Après avoir purgé sa peine, il se retire dans sa propriété d’Ahmad Abad. Le 6 mars 1967, dans la presse iranienne, trois malheureuses lignes annoncent la mort de celui qui a mené en 1951 la première bataille économique des pays pauvres, celle qui préfigure la nationalisation par Nasser, cinq ans plus tard, de la Compagnie Universelle du Canal de Suez.

Douze ans, jour pour jour, après sa mort, alors que la révolution vient de triompher sur les ruines de la monarchie, un million d’Iraniens vont à pied, à motocyclette, en voiture, rendre hommage à l’ancien Premier Ministre enterré à Ahmad Abad… »

Ce n’est qu’en août 2013 que des documents internes à CIA, datant des années 1970 et récemment déclassifiés sont publiés. Le rôle de la CIA y est clairement détaillé: « le coup d’Etat militaire qui a renversé Mossadegh et son cabinet de Front national a été mené sous la direction de la CIA dans un acte de politique étrangère ».

(Source, Eric Rouleau, Le Monde, « les Étoiles de la Colère »)

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