Farhat Hached est l’une des plus grandes et attachantes personnalités tunisiennes du 20e siècle. Son apport au mouvement syndical, comme au mouvement national est si exceptionnel que le gouvernement français, dépassé, n’a pas trouvé mieux que de commanditer son assassinat le 5 décembre 1952, il y a 65 ans aujourd’hui.

Farhat Hached, à l’âge de 16 ans, crée un syndicat

Né en 1914 à Kerkennah, Farhat, fils du marin Mohamed Hached, est obligé, à la mort de son père, alors qu’il à à peine 16 ans, d’interrompre ses études et de travailler comme convoyeur à la Société du transport du Sahel, basée à Sousse où il crée un syndicat de base, affilié à la Confédération générale du travail (CGT) française.

Son militantisme syndical le conduit à des responsabilités au niveau local puis à l’administration centrale juste avant la Seconde Guerre mondiale où toute activité politique et syndicale est interdite par le régime de Vichy. En dehors de ses heures de travail, il se porte volontaire en tant que secouriste auprès du Croissant Rouge. En 1943, il devient fonctionnaire des travaux publics à Sfax où il reprend ses activités syndicales à l’Union régionale. La même année, il épouse sa cousine Emna.

L’émancipation de la tutelle syndicale française et la création de l’UGTT

En mars 1944, Hached et ses camarades reprochent à la CGT  son incapacité à apporter des réponses adaptées aux travailleurs tunisiens et « d’ignorer les aspirations légitimes des Tunisiens à l’indépendance nationale ». Il démissionne de la CGT et prend l’initiative, avec d’autres syndicalistes tunisiens, de fonder l’Union des syndicats libres du Sud à Sfax, fixant comme priorité la justice sociale, l’égalité entre les travailleurs tunisiens et leurs homologues français et l’indépendance nationale. Un an plus tard, il crée, à Tunis, l’Union des syndicats indépendants du Nord.
Le 20 janvier 1946, les deux syndicats autonomes et d’autres syndicats nationaux comme la Fédération générale tunisienne du travail s’unissent et créent l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Hached est élu à l’unanimité secrétaire général de la nouvelle centrale, il a trente-deux ans.

L’UGTT, élément fondamental de la lutte nationale

L’UGTT devient immédiatement un appui important et fidèle pour le mouvement national animé et dirigé depuis 1934 par le Néo-Destour. Les grèves, les mouvements de protestations et les manifestations de rue se multiplient pour réclamer l’indépendance et l’amélioration des conditions de vie et de travail des Tunisiens. Farhat Hached, à la tête de l’UGTT, lui fait jouer un rôle primordial dans le mouvement de libération nationale. L’adhésion de l’UGTT en 1949 à la Fédération syndicale mondiale puis en 1951 à la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) donne à Hached une importante tribune internationale pour défendre le dossier tunisien.

Farhat Hached conduisant le cortège mortuaire de Moncef Bey le 5 septembre 1948 au milieu des tunisiens. (Photo Raja Farhat)

En mars 1951, à son 4e congrès, l’UGTT compte près de 120 000 adhérents et une vraie guérilla sociale et indépendantiste est menée contre les autorités françaises.

Hached encourage les syndicalistes marocains et algériens à créer des syndicats autonomes et les Libyens à mettre en place des structures syndicales. Enfin, avec son programme économique et social et les chapitres sur les libertés, l’UGTT dote le mouvement national d’un agenda national pour l’après-indépendance.

1952, l’année terrible

L’année 1952 voit:

  • l’échec des négociations directes entre les gouvernements français et tunisien
  • Les arrestations de Habib Bourguiba et de tous les leaders nationalistes.
  • L’instauration du couvre-feu et de l’état d’urgence
  • L’interdiction de toute activité politique.
  • Le débarquement de dizaines de milliers de renforts militaires français qui pratiquent des actions de « ratissage ».
  • La destitution du gouvernement de M’hamed Chenik.

Protégée par la loi sur les libertés syndicales et le soutien de la CISL, des syndicalistes américains ainsi que des démocrates qui sont alors au pouvoir aux États-Unis. L’UGTT reste l’unique organisation indépendantiste intouchable par les autorité françaises et Farhat Hached devient le chef de la résistance politique et armée contre les autorités du protectorat. Il organise secrètement les groupes d’activistes dans les locaux de l’UGTT pour mener des attaques armées contre les symboles de l’autorité française. Malgré l’arrestation de plus de 20 000 personnes, il mène des actions de grèves et de mobilisations.
Hached voyage en avril auprès de la CISL à Bruxelles et aux États-Unis pour porter la voix de la Tunisie au moment où les questions tunisiennes et marocaines sont débattues au Conseil de sécurité. Le gouvernement français se trouve alors acculé à présenter un nouveau plan de réformes. Hached suggère alors au Bey de Tunis de réunir un conseil de quarante personnalités représentatives de l’opinion tunisienne afin d’étudier ce plan et de lui présenter leur avis le 2 août ; la réponse est négative.

Farhat Hached devient, pour la France, l’homme à abattre

En raison du danger que Farhat Hached représente pour les intérêts français en Afrique du Nord, dès le mois d’octobre, des officines diverses au sein des services secrets français commencent à étudier divers plans : son éloignement du territoire tunisien, son emprisonnement, sa mise en résidence surveillée; mais toutes ces mesures s’avéreraient contre productives pour la France, vu la protection internationale dont dispose Farhat Hached. Pendant ce temps, il fait l’objet d’une surveillance permanente et l’organisation colonialiste « La Main rouge » appelle à des actes de sabotage, de plastiquage de sa maison et lance même des menaces à l’encontre de sa famille. enfin, les appels au meurtre se font insistants et font même l’objet de publications dans les journaux des colons français.

Le 5 décembre 1952

L’élimination de Farhat Hached est programmée pour le 5 décembre. À la sortie de Radès, ville de la banlieue sud de Tunis où il réside, une voiture le suit, puis, en plein dépassement, des rafales de mitraillettes sont tirées de la voiture qui s’enfuit à toute allure. Blessé à l’épaule et à la main, Hached arrive à quitter sa voiture mais quelques instants plus tard, une deuxième voiture apparaît avec trois hommes à bord ; s’apercevant qu’il vit encore, ils s’en approchent et l’achèvent d’une balle dans la tête avant de le jeter à moins d’un kilomètre au bord de la route. Hached a alors 38 ans.

L’assassinat provoque un soulèvement dans toute la Tunisie et des manifestations à Casablanca au Caire, à Damas, à Beyrouth, à Karachi, à Jakarta, à Milan, à Bruxelles et à Stockholm

À midi, la radio annonce sa mort qui provoque un soulèvement dans tout le pays ainsi que des manifestations à Casablanca, au Caire, à Damas, à Beyrouth, à Karachi, à Jakarta, à Milan, à Bruxelles et à Stockholm. Le journal socialiste Nord-Matin titre: « Émeutes sanglantes à Casablanca. 40 morts et nombreux blessés. Après l’assassinat de Farhat Hached et les maladresses du résident, les troubles s’étendent à l’Algérie et au Maroc ».

Le corps de Hached est transporté sur un petit navire de La Goulette aux Kerkennah pour être remis en pleine mer à sa famille. Sa femme alors âgée de 22 ans se retrouve veuve avec quatre enfants : Noureddine (huit ans), Naceur (cinq ans), Jamila (trois ans) et Samira (six mois).

En 1955, le corps est finalement ramené à Tunis et inhumé dans un mausolée construit à la kasbah, à l’endroit même où il avait l’habitude de haranguer les foules.

En 2002, à l’occasion du cinquantenaire de son assassinat, un nouveau mausolée est construit pour recevoir sa dépouille. L’événement est commémoré chaque 5 décembre par la nation.

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