Les négociations sur un ALECA (Accord de libre échange complet et approfondi) entre la Tunisie et l’Union Européenne ont commencé en octobre 2015. Experts, ONG, associations nationales et internationales débattent sur l’impact de cet accord.
Dans le contexte d’une économie libérale mondialisée, la conclusion d’un accord de libre-échange avec l’Union Européenne paraît, de prime abord, une affaire florissante pour une intégration efficace de l’économie tunisienne dans le marché européen. Cette intégration serait à priori réalisée par le biais de la levée des barrières douanières tarifaires et par l’ajustement des normes et des standards entre les deux parties.
En fait, ce traité n’est que la suite d’un Accord d’association signé en 1995 entre les deux parties. Par cet accord, la Tunisie créait une zone de libre-échange avec l’Union Européenne. Un démantèlement des barrières douanières tarifaires avait été étalé sur une période de 12 ans, mettant ainsi cet accord en vigueur en 2008, tout en prévoyant l’exception du secteur agricole à cause d’un différend entre les pays membres de l’OMC sur la libéralisation du secteur agricole.

Une zone de libre-échange avec l’UE étant établie, pourquoi un ALECA ?

L’ALECA vise à approfondir le degré de la libéralisation et à étendre le domaine d’application du libre-échange. Il couvre principalement le commerce de produits agricoles et de la pêche, le développement durable, le commerce des services et la protection de la propriété intellectuelle.

Une agriculture menacée

Malgré son état archaïque, le secteur agricole occupe une place cruciale dans l’économie tunisienne. 12 % du total du PIB, 10 % de la population active. Toutefois, il souffre de la non modernisation, de la dépendance aux subventions qui pèsent sur l’État et de l’abondance du marché parallèle. Entravé, l’investissement agricole engendre ainsi la distorsion des prix des produits agricoles et de la pêche. De surcroit, l’accord en cours de négociation impose une unification des procédures et des normes sanitaires et phytosanitaires que certains spécialistes considèrent comme une barrières contre une potentielle intégration de la marchandise tunisienne dans le marché européen. Dans de telles conjonctures, disent-ils, la libéralisation faciliterait l’entrée des produits agricoles européens sur le marché tunisien sans contrepartie, entrainant ainsi l’agriculture tunisienne vers l’anéantissement. Protectionnisme ou véritable menaces? Les avis divergent.

Conséquences sur le commerce des services

Le commerce des services englobe un spectre très large de domaines à savoir, la santé, l’enseignement, le transport, la poste, les télécommunications, les médias, le tourisme, le bâtiment, la construction, la finance, les assurances… etc. Il représente 60 % de la population active et 63 % du PIB tunisien. L’ALECA entraîne également l’accès libre des entreprises étrangères aux marchés publics tunisiens. L’accord exige de l’État un traitement égal à celui qu’il accorde à ses propres partenaires. Or, les marchés publics sont très importants pour nombre de petites et moyennes entreprises nationales choyées par l’État. Pour certains observateurs, la libéralisation s’avèrerait inquiétante à cause de la dimension modeste des PME tunisiennes face à leurs concurrents étrangers.

L’Europe « disposée à un accompagnement technique »

Dans le rapport du premier round des pourparlers, l’Union Européenne a confirmé « qu’elle est disposée à poursuivre un accompagnement technique et financier au profit de l’économie tunisienne dans les différents secteurs couverts par le futur ALECA ». Considérant l’asymétrie entre les deux économies, l’UE promet une aide financière et technique pour la mise à niveau des entreprises tunisiennes. Toutefois, la Tunisie a demandé des clarifications et des précisions concernant les mesures sanitaires, la libéralisation du secteur agricole, tout en mettant en exergue l’importance du secteur des services en Tunisie et l’asymétrie au niveau de la compétitivité des entreprises des deux parties. En dépit, des engagements rassurants de l’Europe, la Tunisie possède une très faible marge de manœuvre et se trouve dans une position d’assujettissement aux normes de l’Union Européenne. 70 % du volume du commerce extérieur de la Tunisie se réalise avec l’UE, alors que la Tunisie représente moins de 1 % du commerce extérieur de l’UE. Ce déficit énorme s’accroît chaque année.
De l’autre côté de la méditerranée, le Maroc a suspendu le troisième round des négociations sous prétexte d’accomplir des études d’impact sur le secteur agricole. Entre temps, le royaume a entamé des négociations sur la création d’une zone de libre-échange dans le grand Maghreb (Libye, Tunisie, Algérie, Maroc, Mauritanie). Une fois un tel accord conclu, la Tunisie et les autres pays du Maghreb pourront accroître leur liberté de manœuvre lors des négociations.

Experts et société civile ne s’accordent pas

Les avis des experts et de la société civile ne s’accordent pas. Plusieurs spécialistes ont manifesté des réserves sur cet accord. Le Réseau Euro-méditerranéen des droits de l’homme, composé d’environ 80 ONG et dont la directrice du Bureau Tunisie est Lilia Rebai, a déclaré « Plus d’une vingtaine d’associations ont exprimé des réserves, cet accord qui pourrait représenter un danger pour la Tunisie« . On trouve parmi ces associations l’UGTT, l’Association Amal du Bassin Minier pour l’Environnement, l’Association Thala Solidaire … et 7 associations françaises.
Par contre, Radhi Meddeb, PDG du Groupe Comete Engineering a affirmé que « l’ALECA, serait notre passeport vers la modernité et notre allié pour bousculer les multiples rentes de situation qui gangrènent notre économie […] mais une évaluation rétrospective des accords de 1995 est légitime. En faire un préalable pour avancer serait une erreur préjudiciable à l’économie aujourd’hui« .
Pour sa part Tahar Sioud, pionnier de la diplomatie économique, déclare « c’est un accord incontournable, mais qu’il va falloir négocier très sérieusement pour obtenir de bonnes mesures d’accompagnement et un bon agenda d’application« .
Une étude sur l’impact de la libéralisation du commerce des services, publiée en octobre 2016 et réalisée par l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (ITCEQ) du ministère du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale, montre un impact globalement positif au niveau de la croissance économique, la consommation, l’emploi -surtout celui des qualifiés- et le pouvoir d’achat. Il prévoit une augmentation de 0,4 % du PIB, une baisse de 4 % du chômage et le développement de certains secteurs tels le transport maritime, les télécommunications et les assurances et d’autres auxiliaires financiers.
Malgré les divergences d’avis, l’exigence d’une étude préliminaire présente le point de convergence de tous les experts, institutions et ONG, notamment des études concernant l’impact social et économique, spécialement sur le secteur agricole tunisien.
D’autre part, Tous ces accords excluent l’un des plus importants problèmes relatifs au libre-échange, celui de la fermeture des frontières européennes aux populations du Sud. Tant que cette exclusion ne sera pas sérieusement mise sur le tapis des négociations, les échanges ne pourront être plus libres dans un sens comme dans l’autre.

Marwa Saïdi

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