Depuis l’arrestation du candidat à l’élection présidentielle en tête des sondages, les magistrats tunisiens se demandent pourquoi une telle précipitation à arrêter M. Nébil Karoui à propos d’une affaire qui n’a pas encore été examinée et dont l’examen durera très probablement des années vu que des affaires similaires datant de 2011 sont encore en cours sans que les protagonistes ne soient privés de leurs mouvements ni de l’usage de leurs biens.

Hier et aujourd’hui, les juges examinent les ingérences dans le déroulement des faits.

Voici le déroulé de l’affaire et les problèmes soulevés par une arrestation résolument politique.

Sur l’arrestation de M. Nebil Karoui

M. Nebil Karoui a fait appel, le 16 août 2019, contre l’interdiction de voyage et le gel de ses avoirs décidés par le Pôle Financier dans le cadre de l’affaire « IWatch » datant de 2016 et dont l’instruction est en cours.

Pour juger cet appel, le président de la chambre a interrompu ses vacances et a présidé cette audience sans les principaux juges conseillers de la chambre. Il s’est fait assister par deux autres conseillers, l’un de la chambre civile, l’autre de la chambre pénale, assurant la permanence estivale.

Selon le Comité de Défense de M. Karoui, les deux magistrats conseillers n’appartiennent pas au pôle judiciaire, ce qui rend la composition de la chambre de mise en accusation inappropriée puisque 2 magistrats sur 4 sont incompétents en matière d’expertise financière.

Les questions posées : pourquoi avoir interrompu les vacances des magistrats, notamment celles du président de la Chambre, sachant que le dossier ne présente aucune urgence, et qu’il n’est pas du regard de la Chambre de Permanence estivale, puisque, sur le fond, le dossier ne relève pas de ses compétences. Les compétences de la Chambre d’Accusation saisie par l’appel ne concernaient que l’examen des mesures préventives, c’est à dire les levées de l’interdiction de voyager et du gel des biens. La chambre n’avait qu’à répondre par « oui » ou par « non » par rapport à l’appel.

Sur le fond de l’affaire

Le dossier de l’affaire contient plus de quatre mille pages et l’émission d’un mandat de dépôt, si cela était possible juridiquement, exige l’examen approfondi du dossier. On ignore comment le parquet près la Cour d’Appel, dans un premier temps, a accédé au dossier en 24 heures, puis comment la Chambre a pu examiner l’ensemble du dossier, en un temps record.

Contrairement à ce qui a été publié dans le communiqué du Parquet près la Cour d’Appel de Tunis, l’article 117 du Code des Procédures Pénales ne s’applique pas dans le cas d’espèce, puisqu’il est étroitement lié à l’examen du dossier sur le fond, tout comme il est lié à l’article 116.

Un Mandat de Dépôt est normalement transmis aux services de police du district de résidence de l’accusé. Or, le Mandat a été exécuté avec une célérité sans précèdent. Émis le 23 août 2019 en fin de matinée, le Mandat de Dépôt est exécuté le même jour à 15h00, alors que Mr Nebil Karoui était de retour de l’inauguration du bureau régional du parti à Beja. Il est arrêté à la station de péage de Medjez El Bab par une cohorte de policier de la Direction des Services Techniques et du Renseignement qui gère le Renseignement et l’Antiterrorisme et qui le guettait depuis le matin, comme s’ils étaient au courant de l’émission du Mandat. En réalité, une simple convocation aurait été suffisante, surtout que M. Nébil Karoui a toujours respecté les convocations, nonobstant le fait qu’il est interdit de voyage et qu’en tant que candidat à la présidentielle, sa visibilité est grande et tous ses déplacements connus. Alors pourquoi cet étonnant excès de zèle des policiers qui l’ont arrêtés.

A ce propos, le ministère de l’Intérieur n’a fourni aucune explication. L’arrestation, très musclée, ce qui est complètement injustifié dans ce cas, a été réalisée avec la participation de nombreux policiers et de nombreuses voitures qui ont bloqué M. Karoui au péage et l’ont arrêté et conduit à la prison de la Mornaguia un vendredi, c’est à dire lors de la fermeture hebdomadaire de la prison, rendant ainsi les visites de sa famille et de ses avocats impossibles. Ce qui dénote d’un comportement particulièrement vicieux.

Il est nécessaire de tenir le pouvoir judiciaire éloigné de tout tiraillement politique. Les dépassements constatés nuisent à l’image de la Tunisie, aux processus électoral et démocratique et créent une ambiance peu propice à une campagne électorale sereine.

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