Les 16 mars à 15 heures, au Grand Auditorium de la Cité des Sciences (Centre Urbain Nord), Abdelaziz Belkhodja tiendra une conférence intitulée: « Le triomphe d’Hannibal à Trasimène. » L’écrivain nous donne ici un aperçu de cette future conférence.

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Vue du Lac Trasimène

Pourquoi Trasimène?

La bataille du Lac Trasimène est la 3e grande victoire d’Hannibal sur le sol Italien. La tactique utilisée est celle que les Allemands ont théorisé plus de 2000 ans plus tard, celle du Blitzkrieg, c’est à dire l’utilisation de toutes les forces disponibles à un moment donné et en un endroit donné, pour frapper l’ennemi de la façon la plus profonde possible. Ainsi, Trasimène est déjà tactiquement intéressant.
Ensuite, l’intérêt est qu’après Trasimène, il y a un bouleversement de la stratégie de Rome et de celle d’Hannibal.

Que se passe-t-il, stratégiquement, après Trasimène?

Hannibal est désormais le maître de toute l’Italie du nord, il n’est plus qu’à 5 jours de marche de Rome. Son objectif de mettre à genoux l’adversaire pour l’acculer à négocier un traité de paix est pratiquement atteint. Selon les lois de la guerre, après tant de défaites et de pertes humaines, Rome doit signer un armistice. Mais le sénat romain refuse la défaite et utilise la loi des « Circonstances Exceptionnelles » prévues par la Constitution pour nommer un dictateur, Fabius Maximus. Ce dernier, par son intelligence, va remettre sérieusement en cause, par un changement total de la stratégie romaine, le triomphe d’Hannibal.

Avons nous une idée précise de la tactique, de la stratégie et des objectifs d’Hannibal?

On connaît sa tactique depuis l’Antiquité, mais sa stratégie et ses buts ne nous ont été révélés que par les historiens modernes. Désormais, nous en savons bien plus sur sa stratégie et ses buts, deux éléments complètement occulté durant deux mille ans.

Pourquoi avons-nous mis 2000 ans pour connaître la stratégie et les buts d’Hannibal?

Parce que lorsque plus tard, Rome a dominé le bassin méditerranéen, elle en a profité pour imposer une très forte censure. Elle a non seulement détruit Carthage, mais elle a aussi éliminé tous les livres de l’époque en ne laissant que la version de son écrivain de service, Polybe. En plus d’éliminer une rivale, les Romains devaient détruire les idées politiques de Carthage car elles étaient en totale contradiction avec les objectifs impérialistes de Rome. C’est la raison pour laquelle durant 2000 ans, seule l’image d’un Hannibal tacticien est demeurée. Aujourd’hui, nous en savons bien plus sur ses idées politiques. Et ce que nous apprenons est grandiose non seulement pour l’histoire de la Tunisie, mais aussi pour l’histoire de l’humanité car l’armée d’Hannibal n’était pas exclusivement carthaginoise; le combat d’Hannibal concernait plusieurs peuples, son armée était une force multinationale, et contrairement à ce que l’on raconte communément, Hannibal n’avait pas de mercenaires. Ceux qui l’accompagnaient : Libyens, Numides, Ibères, Gaulois, Italiques, Grecs, Sardes, Siciliens, Baléares et Carthaginois, combattaient pour la liberté. C’est une évidence, même si beaucoup la réfutent.

Carte de la bataille du Lac Trasimène, Musée du Vatican, Rome

Après Trasimène, Hannibal relâche ses prisonniers non Romains et leur dit d’aller chez eux porter la bonne parole: qu’il est venu pour rendre aux peuples italiques leur liberté confisquée par Rome. Dès lors, la confédération italique commence très sérieusement à se démembrer. Dans de nombreuses régions, les forces démocratiques se soulèvent contre les aristocraties soumises à Rome. A Rome même il y a de la sédition, c’est une véritable révolution démocratique qui est en jeu – je pèse mes mots, même s’ils doivent faire s’hérisser les cheveux de nombreux historiens –, c’est ce côté révolutionnaire qui fera peur aux oligarques carthaginois qui refuseront d’aider Hannibal à concrétiser son triomphe. C’est aussi ce qui entraînera Rome à agir avec une terrible brutalité sur son propre territoire, en frappant sans pitié, dès qu’Hannibal a le dos tourné, les cités qui lui ont fait allégeance. Il y a, derrière les faits de guerres, des logiques politiques que l’Histoire, racontée par les vainqueurs, s’est toujours efforcée de dissimuler. Aujourd’hui, nous avons enfin les connaissances nécessaires pour les dévoiler. Tous les peuples méditerranéens gagneraient à se pencher sur ces questions très importantes pour leur histoire. Aujourd’hui, les remises en causes de la version romaine des faits est si importante qu’on ne peut plus se fier au texte de Polybe qui n’est que l’historiographe de service des Cornelii Scipiones, une famille qui a eu bien du fer à retordre avec la famille d’Hannibal, et qui a pris sa revanche après la destruction de Carthage en déformant l’histoire. Cette déformation a duré deux millénaires, elle a été renforcée par l’empire romain, sauvegardée par l’Eglise et confirmée par la colonisation d’où nous tirons l’essentiel de nos connaissances sur cette histoire.
L’esprit du colonisé est demeuré vivace, il produit une forme de soumission à l’histoire telle qu’elle nous a été rapportée par nos colonisateurs et celle-ci engendre une soumission intellectuelle autodestructrice.

Propos recueillis par Mounir Kooli

Le Gaulois Ducar décapite le général romain Flaminius à la bataille de Trasimène (1882), musée des beaux-arts de Béziers.

Photographie de couverture : Vienne, parc du château de Schönbrunn, statue de marbre de Sterzinger sur le grand parterre, 1773-1780; N ° 26: Fabius Cunctator (Quintus Fabius Maximus Verrucosus). Sculpteur: Joseph Baptist Hagenauer

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