Le plan de bataille appliqué par Hannibal à Cannes (Apulie, Italie) le 2 août 216 av. J.-C. est le plus génial de l’histoire militaire mondiale. Il est le fantasme absolu de tous les grands généraux. La dernière fois qu’il a été appliqué, c’était en 1991, par les USA (Norman Schwartzkopf) dans leur guerre contre l’Irak.

La décision de combattre

Après les 3 grandes défaites du Tessin (novembre -218), de la Trébie (dcembre -218) et du Lac Trasimène (juin 217), bouleversée, Rome, par l’intermédiaire de son nouveau maître, Fabius Maximus, décide de ne plus combattre Hannibal de front et de se suffire de suivre son armée en attendant la bonne occasion, si elle se présente. Gêné par cette nouvelle stratégie du refus du combat, Hannibal simule des fuites et manipule l’armée et le Sénat Romain pour qu’ils changent de politique et décident de reprendre le combat.

Au printemps -216, Hannibal quitte ses cantonnements. Exécutant un plan mûri, il prend l’offensive. De Gerunium, il va vers le Sud, passe devant Luceria, traverse l’Aufidus et s’empare de la forteresse de Cannes où se trouvent les principales réserves de blé romaines. Ce coup d’éclat oblige les Romains à activer leurs préparations pour en découdre avec lui. Or, c’est exactement ce qu’attend Hannibal qui a judicieusement choisi son terrain et établi son plan, incontestablement le plus génial de toute l’histoire militaire mondiale.

Les nouveaux consuls Paul Emile et Varron arrivent en Apulie au début de l’été -216. Le Sénat leur a donné l’ordre formel de combattre. Ils commandent chacun quatre légions. Leur jonction porte leur armée à huit légions, c’est-à-dire au moins 100 000 fantassins et bien plus de cavaliers qu’en compte l’armée carthaginoise. Hannibal a 10 000 cavaliers et son infanterie ne dépasse pas 40 000 hommes.

Disposition de l’armée romaine

Le 2 août, le gros de l’armée romaine se porte en deçà de l’Aufidus et prend position près du petit camp de la rive gauche, tout près des Carthaginois. Les lignes romaines s’ordonnent dans la vaste plaine située à l’ouest de Cannes. L’armée d’Hannibal passe l’Aufidus et suit les légions. La cavalerie romaine est sur les ailes. Près du fleuve se trouve la division des chevaliers — où se concentre l’essentiel des officiers supérieurs —, conduite par Æmilius.

Le déséquilibre numérique de la cavalerie romaine

À l’autre extrémité de la ligne romaine, du côté de la plaine, s’est placé Varron à la tête de la cavalerie alliée, beaucoup plus nombreuse que la cavalerie romaine d’Æmilius.

Selon Yozan Mosig, Æmilius, considérant, par élitisme, la cavalerie purement romaine comme qualitativement supérieure à celle des alliés, n’a pas divisé les deux cavaleries en entités égales, créant ainsi un déséquilibre dont profitera Hannibal.

Au centre, sous les ordres du proconsul Servilius, se tient toute l’infanterie.

Disposition de l’armée carthaginoise

Hannibal a très soigneusement choisi le terrain de la bataille. Enserrée entre un fleuve et des hauteurs, la plaine de Cannes empêche une armée plus nombreuse d’opérer un encerclement par les flancs. D’autre part, un vent chargé de poussière se lève périodiquement dans la même direction, aveuglant une armée qui lui fait face.

Disposant de fantassins moins nombreux, Hannibal ne peut opposer à l’infanterie romaine un corps de bataille d’égale puissance. Pour éviter tout risque d’enveloppement il doit étirer son front sur la même largeur que le front adverse, la conséquence est que sa ligne de bataille est moins profonde et moins résistante. De cette faiblesse son génie tactique sait faire une force. Les unités les plus solides de ses troupes à pied sont celles de l’infanterie lourde africaine, armée à la romaine après Trasimène. Il en fait l’élément offensif de son dispositif. Partagés en deux corps égaux de 9 000 hommes, ces fantassins lourds sont placés de part et d’autre du centre, mais en retrait par rapport à lui. Au centre, Hannibal dispose ses 12 000 fantassins gaulois et ibères ; leur ligne décrit un vaste « croissant » convexe, en avance par rapport aux blocs des Africains qui les flanquent à droite et à gauche. Ainsi, Hannibal propose une cible et ménage une flexibilité potentielle. Gaulois et Ibères du centre sont rangés par compagnies alternées.

Aux ailes est mise en place la cavalerie. Le long du fleuve, en face de la cavalerie romaine, Hannibal, qui a observé le déséquilibre « élitiste » opéré par Æmilius, a massé toute la cavalerie lourde, sous les ordres d’Hasdrubal. À l’autre extrémité, se tiennent les cavaliers numides, inférieurs en nombre à la cavalerie alliée dirigée par Varron.

Prenant comme adjoint son frère Magon, Hannibal se réserve le commandement de l’infanterie centrale, où il sait que se déroulera la phase la plus délicate de la manœuvre qu’il a en tête.

Le plan d’Hannibal

Si le plan d’Hannibal à Cannes est le plus célèbre de toute l’histoire militaire mondiale, c’est en raison de sa perfection tactique, de sa préparation minutieuse, entamée au lendemain de Trasimène, mais aussi de son exceptionnelle clarté. Ce plan consiste à attirer les Romains vers le centre du dispositif pour les encercler, les presser et éliminer ainsi leur écrasante supériorité numérique. Mais comment en arriver là ? Comment attirer vers le centre d’un dispositif une armée presque trois fois supérieure en nombre ?

Le croissant

La forme convexe du « croissant » est destinée à faire subir aux troupes romaines une convergence « naturelle » vers le centre où se trouvent les troupes carthaginoises les plus proches et où se déroulera le premier choc entre les deux infanteries.

Le repli stratégique

Dès le premier choc, les Gaulois et les Ibères ont l’ordre d’opérer un repli stratégique. L’armée romaine, qui prendra ce repli pour une débandade, s’emballera à leur poursuite, se dirigeant ainsi vers le centre du dispositif.

Le repositionnement des Africains

Le repli stratégique des fantassins Ibères et Gaulois dévoilera aux Romains la présence, sur leurs flancs, des Africains armés à la romaine qu’Hannibal a très probablement disposés à l’envers, dos à l’ennemi, pour appuyer le déguisement trompeur.

L’encerclement

Arrivés, lors de leur repli, à la limite des blocs des Africains armés à la romaine, les Ibères et Gaulois arrêteront leur retraite organisée et opéreront un demi tour pour faire face aux Romains. Les deux blocs des Libyens opéreront chacun un quart de tour vers le centre pendant que la cavalerie carthaginoise, débarrassée de la cavalerie ennemie, viendra fermer l’arrière des troupes romaines, interdisant ainsi toute retraite.

L’effacement du centre

Résultat : seuls les soldats de la périphérie du bloc romain vont pouvoir se battre tandis que l’écrasante majorité des troupes va se retrouver au centre du dispositif, sans aucun contact avec l’ennemi.

Déroulement de la bataille

Le combat d’avant-garde

Après un court engagement d’avant-garde entre les troupes légères qu’Hannibal a étirées au maximum pour, à la fois éviter l’enveloppement et dissimuler son dispositif, la bataille s’engage.

Le combat de cavalerie

À gauche du front carthaginois, la cavalerie lourde carthaginoise, supérieure en nombre à la cavalerie romaine attaque les cavaliers romains dirigés par Æemilius.

À droite du front carthaginois, les cavaliers numides qui sont en infériorité numérique — en attendant d’être rejoints par la cavalerie lourde — font plusieurs fois mine de charger, puis temporisent. Face à ce comportement, la cavalerie alliée dirigée par Varron reste indécise.

Le combat d’infanterie

Au centre, le combat d’infanterie se déroule selon les plans d’Hannibal : les légions romaines convergent vers le centre du croissant, poussent leurs ennemis gaulois et ibères et poursuivent leur apparent succès, alors qu’en réalité, Hannibal a déclenché une retraite progressive. Les fantassins romains, emportés par leur élan, entrent dans le piège. Le « croissant », devenu concave, recule jusqu’à atteindre la profondeur limite, qui est l’arrière des deux corps de fantassins africains habillés à la romaine.

La cavalerie d’Æmilius décimée

Pendant ce temps, au bord de l’Aufidus, la cavalerie romaine est décimée par la cavalerie carthaginoise. Blessé, le Consul Æemilius, rejoint ses fantassins qu’il croit vainqueurs et s’engouffre avec eux dans le piège d’Hannibal. Hasdrubal réorganise ses escadrons et se lance vers la cavalerie de Varron qui est à l’autre extrémité du champ de bataille.

L’engagement des fantassins « déguisés » d’Hannibal

Révélés aux Romains par le recul du croissant, les Africains, équipés à la romaine, opèrent un quart de tour vers le centre et avancent vers les fantassins romains qui sont en train de s’engouffrer dans le piège et dont la vue est gênée par un vent chargé de poussière. Étonnés par ces soldats habillés comme eux qui les prennent de flanc, les Romains tentent, dans une désorganisation totale, d’arrêter leur course vers l’avant et de se repositionner.

Défaite de la cavalerie de Varron

Dérouté par les manœuvres de diversion de la cavalerie numide qui fait plusieurs fois mine de l’attaquer puis de le fuir, Varron est attaqué à ses arrières par la cavalerie d’Hasdrubal. À ce moment précis, les Numides cessent leurs manœuvres de diversion et attaquent.

Pris en tenaille par les deux cavaleries carthaginoises, les cavaliers italiens sont tués ou se dispersent. Hasdrubal laisse aux Numides le soin de poursuivre les survivants et, réorganisant une nouvelle fois sa cavalerie, il va se jeter sur l’arrière des légionnaires.

L’encerclement définitif

Cette manœuvre ferme définitivement le piège. Pour les Romains, le recul ou la fuite ne sont même plus possibles. Pressés de tous côtés, les rangs des légionnaires s’entassent, immobiles. Seuls les soldats romains de la périphérie sont en contact avec les forces d’Hannibal et peuvent se battre. Les carthaginois, organisés en petits groupes compacts, peuvent se battre aisément puis faire retraite pour laisser place à d’autres groupes.

La force de frappe de l’armée romaine divisée par 70

Le nombre de soldats romains en contact direct avec les Carthaginois est minime. Considérons, par exemple, que 70 000 hommes ont été piégés, qu’ils forment une masse plus ou moins circulaire et que chacun d’eux, avec son épée et son bouclier, occupe un mètre carré. Le calcul de la périphérie de cette masse nous donne une valeur d’environ un kilomètre. Et si l’on compte un soldat par mètre linéaire sur la périphérie, on réalise que seul un Romain sur soixante-dix est en contact avec les soldats d’Hannibal. En d’autres termes, alors que les fantassins romains combattaient à trois contre un, la tactique d’Hannibal a divisé la force de frappe romaine par soixante-dix.

En bleu ciel, les Romains en contact direct avec l’armée carthaginoise. Tout le reste de l’armée romaine reste inactif.

Bilan de la victoire

Jamais une si grande armée n’a été aussi complètement anéantie, sans pertes sensibles pour le vainqueur. La bataille de Cannes a coûté à Hannibal moins de 6 000 hommes alors que plus de 80 000 Romains gisent à terre, et parmi eux le consul Paul Emile, le proconsul Servilius, les deux-tiers des officiers supérieurs et 177 personnages de rang sénatorial. L’autre consul, Marcus Varron, grâce à sa décision de prendre la fuite, se réfugie à Venosa avec quelques milliers de rescapés. La garnison du grand camp, comptant 10 000 hommes environ, tombe tout entière dans les mains des Carthaginois et quelques autres milliers de soldats, échappés de la bataille, vont s’enfermer dans Canosa.

Vue sur la plaine de Cannes à partir de la forteresse.La prise de Rome était-elle possible ?


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