Il ne faut plus rien attendre d’un État incapable de faire respecter la loi, il faut prendre d’assaut les municipalités, écarter les mafieux, les incapables et les malades de leur égo. C’est le rôle de la société civile stricto sensu, celle qui est consciente, celle qui agit à travers les associations, celle qui, aujourd’hui, a compris que jamais l’État ne sortira le pays du gouffre et que le temps est venu pour elle de prendre le relais.

LA NATION. Que pensez-vous de ce report des élections Municipales?

Abdelaziz Belkhodja : Préparer des élections aussi fondamentales en plein été, un été affreusement chaud, ce n’est vraiment pas pratique. Ce report est donc quelque chose de positif, l’automne est plus propice au travail. D’ailleurs, les choses commencent à bouger sérieusement.

Une échéance fondamentale? Ces élections sont-elles plus importantes que les scrutins nationaux?

Oui, car au niveau national, il est évident que l’État a échoué partout, il s’est révélé incapable d’avoir une vision et de la mettre en œuvre. Nous en sommes au 10e gouvernement et aucun problème n’a été résolu; au contraire, le pays continue de s’enfoncer… Les municipalités, elles, peuvent éviter l’échec car si elles associent les administrés à la gestion des villes, elles pourront réaliser des miracles. Associations et simples citoyens seront enthousiastes à l’idée de faire de leur ville un endroit où il fait bon vivre, c’est cette logique qui a complètement échappé à l’État qui voit en les citoyens et associations des concurrents, sinon des parasites. L’État appelle les partis et individus à présenter leurs idées, plans projets, mais en réalité, il n’en a que faire, c’est un monstre administratif non seulement inutile, mais profondément nocif. Un État qui emprunte au niveau international pour payer ses fonctionnaires engrange ce que l’on appelle en sciences économiques, une « dynamique diabolique » vouée à la catastrophe financière.

Oublions l’État pour le moment, nous y reviendrons. Pourquoi les Municipalités agiraient-elles de façon différentes?

Tout est, bien sûr, une question de choix des personnes. Et l’avantage avec les élections municipales c’est que, par la proximité, elles donnent aux citoyens libres et indépendants la possibilité d’être élus, ce qu’ils ne peuvent pas faire pour les législatives, les présidentielles, ni même pour les futures régionales qui sont des élections qui, par leur dimension, exigent des appareils. Or les appareils sont les premiers destructeurs de la politique car pour les entretenir, il faut beaucoup d’argent et de temps, ce qui oblige les responsables de ces appareils à servir leur clientèle et non le pays.

Et vous pensez que les élections municipales mettront en avant de bons candidats?

Je pense seulement que c’est possible. C’est aux bons citoyens de le réaliser. On dit que « le malheur de ceux qui ne veulent pas s’occuper des affaires publiques est que des gens moins vertueux qu’eux risquent de s’en occuper». Mais la conscience seule ne suffit pas, il faut du travail. Aucune élection n’est facile; en plus, le risque est d’avoir des Conseils Municipaux éclatés entre différentes tendances politiques, ce qui contribuera à rendre les villes aussi ingérables que ne l’est aujourd’hui l’Etat, car, malheureusement, c’est le même système de scrutin qui a été choisi. Il faut donc que des listes indépendantes se manifestent avec force, et pour ça il n’en faut pas plus que deux ou trois par circonscription. L’idéal serait une seule liste indépendante pour contrer les partis, mais vu les égos, ça va être difficile. En fait, c’est aux citoyens eux-même de mettre en avant les meilleurs d’entre eux. Dans chaque circonscription, il y a des milliers de bons citoyens  qui sont soucieux de l’avenir de leur ville mais qui ne veulent pas se présenter aux élections. A eux de débattre et de choisir les gens les plus valables pour gérer leur ville. Ces citoyens peuvent limiter le nombre de listes en dénonçant les faux indépendants et ceux qui sont au service d’une mafia.

Mais qui nous dit que les élus respecteront leurs engagements?

C’est aux citoyens d’imposer aux élus des engagements au cas par cas. Prenons par exemple le cas des constructions illégales. À La Marsa, une association a dénoncé plus de 900 dépassements, les citoyens doivent se rapprocher de cette association et des autres, comme Winou Ettrotoir par exemple, pour décider, ensemble, quel programme soutenir. Et si les listes élues oublient leurs promesses, alors elles pourront être démises car la loi permettra, normalement, un référendum municipal pour punir les conseils municipaux qui auraient trompé leurs administrés. C’est en ce sens que la société civile jouera un rôle primordial, elle aura les moyens d’exclure les mauvaises listes et surtout celles derrière lesquelles se cachent ces partis dont le seul souci est le profit et qui ont détruit la Tunisie.

Vous voulez dire que les partis sont incapables de gérer efficacement les villes?

En ce moment, ce sont eux qui gèrent les municipalités, regardez ce qui s’y passe avec les constructions sauvages, avec l’état lamentable des espaces verts, avec la saleté, avec les marchés municipaux complètement désorganisés, avec les vols, la violence, les problèmes de parking, l’impunité, la gabegie, l’absence totale d’initiative et de vie municipale. Le problème est que les partis au pouvoir sont une catastrophe pour les citoyens car ils ont tendance à créer un État dans l’État pour justement le phagocyter et en faire un instrument à leur service et non au service des citoyens. C’est ce qui se passe dans nos villes depuis des décennies.

Et vous pensez que les indépendants, avec si peu de moyens, réussiront à faire fonctionner les municipalités?

La nouvelle loi de gestion des Collectivités Locales offrira des moyens exceptionnels aux conseils municipaux. Si les élus sont des gens intelligents, ils pourront générer assez de moyens pour enrichir leurs villes, les nettoyer, assurer une vie sociale, économique et culturelle harmonieuses. Ils pourront s’opposer aux infractions, si nombreuses et qui empoisonnent la vie des citoyens. Le grand avantage est que l’État, qui est profondément corrompu, n’aura plus aucune voix au chapitre, il va devenir, au mieux, un simple exécutant des décisions municipales.

Un exemple?

Oui, en ce moment même, il y a carrément des centres commerciaux qui ont été construits dans l’illégalité la plus totale, sur des zones vertes ou des quartiers d’habitation. Les municipalités ont été plusieurs fois averties et des décisions de destruction ont été prises. Mais jamais exécutées! Les promoteurs arrosent les agents municipaux qui n’appliquent plus la loi. Quand les affaires se médiatisent, les promoteurs font des promesses débiles sur des emplois à pourvoir et tout le monde recule, des conseillers municipaux au ministre concerné en passant par le Gouverneur!

Mais c’est par nécessité que les responsables réagissent de cette façon.

Ce n’est pas par nécessité, mais par ignorance que nos responsables agissent ou plutôt n’agissent pas. Aujourd’hui, grâce à la liberté d’expression et à toutes les libertés acquises, comme celle de se constituer en association ou en parti, les Tunisiens commencent à réagir. Il ne faut plus rien attendre d’institutions qui se sont révélées incapables de faire respecter la loi, il faut prendre d’assaut les municipalités, écarter les mafieux, les incapables et les malades de leur égo. C’est le rôle de la société civile stricto sensu, celle qui est consciente, celle qui agit à travers les associations, celle qui, aujourd’hui, a compris que jamais l’État ne sortira le pays du gouffre et que le temps est venu pour elle de prendre le relais.

Vous n’êtes pas trop optimiste?

Non, simplement, je connais notre histoire et je sais de quoi les habitants de ce territoire sont capables, en mal, mais aussi en bien. Il faut réaliser que lorsque des élections municipales libres se tenaient dans ce pays, nous avions alors les plus riches et les plus belles cités du monde et nous étions la crème de l’univers.

Vous parlez de Carthage, c’était il y a plus de 2000 ans…

Oui, mais c’est la première fois après ces 2000 ans que vous citez, 2000 ans d’occupation et de dictature, que nous avons renoué avec la liberté et avec une législation qui donne aux villes toute la latitude nécessaire pour travailler. Maintenant tout est possible pour des citoyens enthousiastes, sincères et travailleurs. Je pense qu’il y aura une prise de conscience.

Allez-vous participer à ces Municipales?

Oui, très probablement.

Dans quelle circonscription?

Carthage

Avec quels moyens?

Associations, personnalités de la société civile, un programme qui associe tous les administrés. J’invite tous ceux qui veulent s’engager pour leur pays à s’engager pour leurs villes, à se réunir, à réfléchir ensemble, à ramener le maximum de capacités, à écarter les mauvaises graines et à préparer, ensemble, l’avenir de ce pays qui, grâce à eux peut être radieux.

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