En 2015, Ennahda s’est autoproclamée « parti civil ». Il lui fallait, en effet, tenter de se distinguer de l’organisation des Frères Musulmans avec qui elle s’est fourvoyée dans un crime contre l’humanité et contre l’islam, en recrutant des milliers de pauvres diables pour les envoyer tuer et mourir pour le gaz du Qatar et l’hégémonie de l’Occident.

Devant l’échec et les changements géopolitiques qui ont suivis et mis à l’index les organisations islamistes, Ennahda se devait de muer et c’est ainsi que sous l’égide du président Caïd Essebsi, elle a voulu se faire une hymenoplastie.
Mais voici que du fait de ce même Caïd Essebsi, Ennahda s’est retrouvée piégée par des propositions sur l’égalité des sexes qui bouleversent son camp et la laissent jusqu’à aujourd’hui sans voix.

Le problème est sérieux, c’est celui de la lecture du texte religieux; et il est fondamental, parce que derrière cette proposition, rien de moins que le passage d’une lecture littérale à une lecture spirituelle du texte du Coran. En somme, un véritable saut civilisationnel.

En Tunisie, depuis l’arrivée des premiers combattants de l’islam, le texte coranique, par son adaptation au Droit positif existant, est interprété de façon progressiste.
L’exemple du Contrat de mariage Kairouanais est édifiant, puisque dès le premier siècle de l’islam, la femme tunisienne pouvait exclure, contractuellement, la polygamie. Ce genre d’arrangements s’est poursuivi durant 13 siècles jusqu’à se concrétiser en 1956 par la promulgation du Code du Statut Personnel avec l’assentiment des Zitouniens, ces descendants des exégètes tunisiens dont la tradition, trois fois millénaire, passe non seulement par Saint Augustin, le père de l’Eglise, mais également par les fameuses prêtresses de Carthage dont le rôle était éminent dans l’Antiquité tunisienne. Restait cependant une dernière étape, symbolique, celle de l’égalité dans l’héritage, et du mariage des musulmanes avec des non musulmans. Toutes ces dispositions souffrent de multiples interprétations religieuses… n’entrons pas dans des polémiques byzantines.

Le Coran est-il figé ou progressiste?

Le vrai débat est celui du rapport entre religion et civilisation. La religion est elle-même porteuse de civilisation, car, faut-il le rappeler, le Coran est apparu dans une société arabe du 7e siècle où les femmes n’héritaient de rien, où les nouvelles nées étaient souvent enterrée vivantes et ou l’esclavage ne choquait personne… Dans toutes ces matières et dans bien d’autres domaines, le Coran a légiféré dans un sens progressiste. C’est ce progressisme qui a fait que les arabes ont dominé leur époque et c’est la fin du progressisme qui a marqué leur recul.
À partir du 10e siècle, lorsque le sens critique a été réprimé, les Arabes ont connu un lent déclin jusqu’à atteindre, aujourd’hui, avec le terrorisme, Daech, l’ignorance et la dictature, le plus bas degré de l’humanité.

Aujourd’hui, sans une avancée civilisationnelle majeure, les communautés musulmanes poursuivront leur déclin dans un chaos suicidaire. Or la décadence du monde musulman a une seule et unique cause: l’absolutisme des pouvoirs. Si le monde musulman avait poursuivi son évolution dans la voie de la critique constructive et s’il avait admis la simple évidence selon laquelle l’esprit du texte est supérieur à sa lettre, il n’aurait pas connu ce déclin. Mais l’Islam de la lettre sans l’esprit est devenu l’opium des uns, le châtiment des autres et la meilleure arme des tyrans.

Aujourd’hui, alors que la Tunisie et sa démocratie naissante offrent pratiquement la seule tribune d’un authentique débat sur l’islam, Ennahda joue non seulement sa survie, mais aussi celle d’un islam désormais raboté par les wahhabites au rang de manifeste guerrier. Si Ennahda reconnaît que l’esprit du texte prime sur la lettre, c’est à dire si elle a le courage de l’intelligence, de la civilisation et peut être même de sa propre sincérité, alors elle contribuera à faire de la Tunisie la forteresse intellectuelle du monde musulman car à travers cette décision, elle extirpera de la Tunisie ce conservatisme débilitant, ce terrible mal qui la ronge depuis 2011 et qui l’empêche de prendre le train de l’histoire.

Il faut, pour être juste, ajouter que le président Béji Caïd Essebsi n’a pas su présenter sa proposition comme il se doit, il l’a faite de façon précipitée et politicarde, alors qu’elle méritait plus de préparation, car à travers elle peut se jouer non seulement la sérénité de la Tunisie, mais peut-être aussi celle de toutes ces communautés musulmanes vouées aux gémonies.

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