Dans son livre, Parcours d’un soldat : entre le devoir et l’espoir, le général Habib Ammar est revenu sur le 7 novembre 1987 et la déposition de Habib Bourguiba.

Selon Habib Ammar, croyant que Habib Bourguiba voulait le limoger, Zine el-Abidine Ben Ali avait prévu de démissionner pour quitter son poste de façon honorable. Il ajoute que Kamel Letaïef et lui l’en ont dissuadé.

Cependant lors d’une nouvelle rencontre avec Ben Ali, Bourguiba n’a plus évoqué cette question. De retour de cette rencontre, Ben Ali a révélé au général Ammar ses inquiétudes sur l’état de santé de Bourguiba. Habib Ammar a répondu qu’il partageait le même avis: « Avoir un leader mythique, respecté par tout le monde mais qui n’arrive plus à se lever sans assistance est douloureux. » Habib Ammar aurait alors ajouté : « Tu es Premier ministre, tu vas t’occuper de tout ce qui est constitutionnel et moi, je m’occuperai du terrain. Il faut sauver le pays. N’exécute personne et on ne laissera personne exécuter Bourguiba».

À l’époque, Rached Ghanouchi était incarcéré et condamné à la peine capitale. Bourguiba voulait activer la sentence alors que les Frères musulmans faisaient pression pour le libérer. Il y avait déjà eu les attentats de Sousse et de Monastir. Selon le livre, ils planifiaient même un coup d’État pour le 8 novembre 1987.

« On était face à deux scénarios : soit les islamistes réussissent leur coup d’État et assassinent Bourguiba et il y aura un bain de sang, Soit Bourguiba fait exécuter Ghannouchi et il y aura aussi un bain de sang», raconte l’auteur.

Le 5 novembre, Ammar et Ben Ali vont chez Hédi Baccouche et préparent la déclaration du 7 novembre. « Le lendemain Ben Ali a réuni quelques ministres et responsables sécuritaires… et, moi, je me suis occupé des unités qui devaient encercler le palais. Nous n’avons pas eu recours à l’armée, ce n’était pas un coup d’État, c’était plutôt un coup pour sauver le pays, j’ai risqué ma vie avec ce coup, l’un des agents a failli m’abattre ».

Concernant le coup d’État des Frères musulmans, prévu pour le 8 novembre 1987, le Général Ammar a fait savoir que lui et Ben Ali travaillaient aussi pour la même date, mais ce dernier a décidé de le décaler pour couper l’herbe sous le pied des islamistes.

Est ce qu’il y avait une intervention étrangère ?

Pour le général Habib Ammar, personne n’était au courant de l’affaire; « Nous avons été deux, Ben Ali et moi et personne d’autre (Qu’en est-il alors de Kamel Letaïef et de Hédi Baccouche mentionnés par Habib Ammar lui-même ?), à avoir préparé, planifié et exécuté le 7 novembre 1987. Certains assurent aujourd’hui que l’Algérie et l’Italie étaient au courant de l’affaire et que nous avions reçu de l’aide de leur part ; rien de cela n’est vrai, il n’y avait aucune tierce partie », rétorque-il.

Or, Kamel Letaïef, l’un des protagonistes du 7 novembre et homme de l’ombre de Ben Ali a une version différente des faits. Lors d’une interview accordée à l’Express, il a signalé que le président algérien était au courant de l’affaire : « Le hasard a voulu que le ministre de l’Intérieur algérien, Hédi Khédiri, soit en visite à Tunis alors que nous préparions le renversement de Bourguiba. J’ai suggéré à Ben Ali de le mettre dans la confidence afin que le président Chadli Benjedid soit informé de notre projet. Le chef de l’État algérien a donné son feu vert, en y mettant une condition : que Bourguiba soit bien traité. »

Que disent les islamistes ?

Contacté par La Nation, Abdelfattah Mourou, l’un des fondateur du mouvement Ennahdha (à l’époque MTI, Mouvement de la Tendance Islamique) a déclaré qu’a l’époque il était en Arabie Saoudite, mais qu’il avait entendu parler de certains militaires islamistes qui voulaient renverser le régime. Ils comptaient attaquer Bourguiba lors de son cortège, le jour de la Fête de l’Arbre qui coïncide avec le 8 novembre 1987, et ce, pour empêcher l’exécution de Rached Ghanouchi « Je ne pense pas que ce soit une décision du Mouvement qui était alors trop affaibli pour pouvoir planifier un coup d’État, je pense plutôt à une tentative isolée, menée par les sympathisants du Mouvement, tout comme l’affaire de Bab Souika. »

La Nation a également contacté le journaliste Slaheddine Jourchi qui a quitté le mouvement islamiste en 1980 mais qui a son avis sur l’affaire. Selon lui, « il y avait des sympathisants du mouvement islamiste dans l’armée, la police et la douane. Ils avaient pour but d’occuper les casernes de la capitale le 8 novembre 1987 et de mener un coup d’État. S’ils l’avaient réalisé, les résultat auraient été catastrophiques, car ils ne disposaient d’aucun soutien international. Ils n’auraient jamais pu renverser le régime, mais ils auraient pu causer un bain de sang. Quand Ben Ali a pris le pouvoir, le mouvement islamiste a exprimé son soutien à ce changement. Les leaders du mouvement islamiste ont considéré que Ben Ali avait fait ce qu’ils comptaient entreprendre », a témoigné Jourchi.

Finalement, selon les témoignages, la Tunisie était dans l’impasse. En novembre 1987, le pays était déstabilisé par la crise économique et par les islamistes. En plus, Bourguiba était dans un état de santé inquiétant. Ses vrais soutiens avaient été mis à l’écart par des membres de sa famille qui n’avaient aucune culture politique et qui étaient incapables de le conseiller de façon fiable. Son entourage attendait son décès pour prendre la relève. L’affaire du coup d’État réalisé par les islamiste n’est pas très fiable, si elle a existé, ils n’auraient jamais pu contrôler de façon significative une armée qui s’est toujours distinguée par sa neutralité et son respect du principe républicain.
Cependant, le pouvoir était depuis longtemps en fin de course, les hommes qui avaient fait la réussite de la Tunisie de Bourguiba étaient tous partis. En ce sens, la prise du pouvoir par Ben Ali a été salutaire. Les promesses de la déclaration du 7 novembre étaient attendues par tout le monde, sauf que Ben Ali a fait la même erreur que Bourguiba en refusant la démocratisation du régime.

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