Pour certains, un handicap est une malédiction divine, un genre de punition et il faudrait éviter les handicapés comme la peste. D’autres, par contre, en font trop et usent d’une gentillesse exagérée, d’une compassion forcée. La vérité, c’est que les handicapés veulent que les gens se comportent avec eux de façon naturelle et qu’ils ne les considèrent pas par rapport à leur handicap, mais, comme le commun des mortels, par rapport à leur personnalité.

Cette marginalisation est aujourd’hui combattue par Radio ML, un média qui leur est dédié.

Radio ML (acronyme de « Média libre » dont la sonorité joue également sur les mots, « Amal » signifiant espoir en arabe), est la première radio pour handicapés, dans le monde arabe et en Afrique. Elle émet sur la bande (93.4 FM) depuis le 3 décembre 2016, (le 3 décembre est la journée mondiale des personnes handicapées).

« Nous sommes une vingtaine de personnes passionnées par les médias et la vie associative, nous avons décidé de lutter contre les injustices faites aux handicapés dans la société », a expliqué M. Skander Ben Amor, membre fondateur de la radio.

Étudiant à la faculté des langues, Skander Ben Amor nous a accueilli dans son fief, l’Institut Supérieur des Langues de Tunis (ISLT).

Au commencement…

Après plusieurs expériences dans la vie associative (Croissant rouge, Association Tawhida Ben cheikh pour les aides médicales, Union des associations humanitaires en Tunisie..) et une expérience avec l’équipe nationale des handicapés, il a finalement concentré tous ses efforts dans un projet destiné à changer la perception qu’une société pouvait avoir des personnes handicapées.

État des lieux

Le nombre des handicapés en Tunisie est estimé, d’après un rapport de l’OMS, à 208 456 personnes.
11 % sont non-voyants, 44 % souffrent d’un handicap organique, 28 % de handicaps mentaux, 12 % sont malentendants et 5 % sont porteurs de handicaps divers. Cette communauté est marginalisée par l’État, la société et les médias, selon le constat de Skander Ben Amor, qui, sur les ondes de sa radio, reçoit chaque jour les témoignages de personnes handicapées.

Pour lui, « Être handicapé en Tunisie est terrible, ça va de l’absence totale d’équipements publics adaptés aux handicapés jusqu’à la méchanceté », volontaire ou involontaire, en passant par une caste de « profiteurs » qui monnayent le handicap de leurs enfants pour en faire un revenu. Quand on est handicapé en Tunisie (handicapé moteur surtout), il est difficile d’accéder à des lieux publics. Beaucoup d’administrations, de centres et de bibliothèques ne pensent pas aux handicapés, et ce, dès l’accès aux bâtiments. Même si un accès dédié est prévu, on réserve la rampe des handicapés pour d’autres utilisations. (cf. les photos ci-dessous)

Une rampe pour handicapés dans un immeuble administratif à Tunis
Une rampe pour handicapés dans un centre commercial à Bizerte

 La méchanceté gratuite de la société

Dans certains milieux, on considère toujours le handicap comme une malédiction ou une punition divine destinée à la personne en question ou à ses parents.
Pour d’autres, s’il y a un enfant handicapé dans une famille, c’est que les parents on fait du mal et que la justice divine les a punis. « Heureusement que les exemples sont rares mais vous n’avez aucune idée combien ces pensées pèsent lourd quand on entend parler de ça », affirme Skander Ben Amor.

Même de bonne foi, il faut soigner ses mots

Parfois, sur les réseaux sociaux, certains publient des photos montrant des handicapés afin de les aider – ce qui est déjà une atteinte à la dignité humaine –, il y a des gens qui commentent en disant « Hamdoulah » comme un remerciement divin teinté du soulagement d’avoir été créé en bonne santé. Ces commentaires sont une meurtrissure pour les handicapés.

Ce qui est également gênant, c’est l’euphémisme employé par certains pour ne pas blesser les handicapés. Ils préfèrent ainsi parler de « personnes aux besoins spécifiques » plutôt que « personnes handicapées », alors que c’est faux. Il explique : « handicapé est un terme clinique, antonyme de valide. Ce mot ne nous dérange pas, c’est comme la différence entre une personne brune et une personne blonde ou entre un chauve et un chevelu. Essayer de tempérer est blessant », car cela marque une différence.

Le rôle de la famille

Skander Ben Amor signale un autre comportement qui dérange : certaines familles ayant un enfant handicapé essayent de le gâter plus que ses frères et ses cousins pour qu’il ne se sente pas exclu, afin d’une certaine manière de compenser son handicap. Or, l’enfant devient victime de cette gentillesse excessive et il grandit avec le complexe d’être traité différemment des autres, et peut se sentir, de fait, inférieur aux autres.

Le rôle des médias

Bien que les handicapés soient relativement présents dans les médias, Skander Ben Amor pense que cette présence est problématique car les handicapés sont toujours mis dans une position inférieure à celle de leurs concitoyens. Par exemple, à chaque fois qu’il y a un handicapé invité sur un plateau de télévision ou dans n’importe quel autre média, c’est toujours en rapport à sa situation de handicap, afin de parler de ses souffrances ou bien pour expliquer que malgré son handicap, il a réussi à le surmonter.

Le rêve

Le rêve de Skander Ben Amor et de toute l’équipe de Radio ML est de promouvoir une autre image des handicapés. Qu’ils soient juste considérés comme des personnes ayant une ou des différences physiques par rapport aux personnes valides.
« Cela ne deviendra effectif que lorsqu’on verra un handicapé invité dans une conférence ou sur un plateau télé pour parler d’un sujet qu’il maitrise : culture, économie, politique ou sport sans faire la moindre allusion à son handicap ».

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